Ikea à Bayonne : sauvons les meubles ?

Publié le par Alda



par
Claude Labat

“Est-il donc impossible ici, chez nous, de produire
des meubles contemporains, esthétiques,

de bonne qualité et bon-marché avec cette tradition d'ébénisterie plutôt fameuse qui est la nôtre ?”

“Je ne suis pas plus malin que les autres mais dès qu'il s'agit de qualité de vie, je n'aime pas qu'on m'impose du prêt à penser, même sous prétexte de développement économique. 
Je n'aime pas non plus le prêt à consommer, fut-il clean comme un meuble scandinave au design épuré.
Mon point de vue sur l'implantation d'Ikéa en Pays Basque se résume à une question : “est-il donc impossible ici, chez nous, de produire des meubles contemporains, esthétiques, de bonne qualité et bon-marché avec cette tradition d'ébénisterie plutôt fameuse qui est la nôtre ?”
Je ne parle pas de produire à nouveau ces armoires, ces lits et ces züzülü impossibles à faire rentrer dans un appartement moderne.
J'aspire seulement à voir des meubles adaptés à nos modes de vie et à notre pouvoir d'achat, tout en portant la marque de la qualité d'antan.

Une économie sauvage qui n’a que faire des cultures et des identités

Je m'étonne de la rapidité avec laquelle le savoir faire ancestral s'est dilué dans les brumes de l'hyper consommation au service d'une économie sauvage qui n'a que faire des cultures et des identités. 
Bref, je me désole de voir que le patrimoine artisanal remarquable de ce pays risque de se retrouver dans le vide grenier planétaire de la globalisation culturelle.
Mais voilà, n'étant qu'un profane, je ne sais qui incriminer.
Et je n'ai pas envie de tomber dans la facilité en traitant nos élus d'incompétents, car je soupçonne que nous sommes tous responsables de cette situation.

La demande s’éduque ou se suscite

Les métiers du meuble sont nombreux et complexes mais pourquoi est-il si difficile de trouver à un prix convenable, un vrai meuble simple, fonctionnel et moderne ? Par "vrai" je veux dire autre chose que de l'aggloméré et du stratifié, et par "moderne" je veux rappeler que je vis en 2008 et pas en 1808 !
Pourquoi donc me propose-t-on surtout des modèles anciens ? Vous allez me dire que les artisans répondent à la demande des clients. Je rétorque derechef, que la demande s'éduque ou se suscite... Bref, j'en suis réduit à acheter mon meuble moderne à Ikéa Bordeaux ou Ikéa Bilbo !

Patrimone, simple retroviseur

Et si vous voulez savoir pourquoi je cherche un meuble contemporain plutôt que du "rustique" ou du "style basque" c'est que je considère le patrimoine comme un simple rétroviseur qui me permet de savoir d'où je viens. Je préfère mener ma vie en regardant devant plutôt que dans le rétroviseur.

Si je veux du  contemporain je n’ai pas le choix

Ce qu'on me propose généralement avec les meubles "d'inspiration locale" n'est pas à mon avis l'expression d'un attachement à une culture ni même le signe d'une "société-en-crise-qui-cherche-des-repères" mais le résultat d'une digestion difficile de la notion de patrimoine. On cherche à dire qui on est en affichant ce qu'étaient nos ancêtres ! Bien délicat alors de parler de culture vivante et de création ! Résultat : si je veux du contemporain je n'ai pas le choix : d'Oslo à Bayonne en passant par la vente par correspondance et internet ce sont partout les mêmes modèles qu'on me propose ! Alors, surtout à cause du prix, je choisis Ikéa !

Plutôt fonctionnaire ou staracadémicien que travailleur manuel

Mais pourquoi je trouve si peu d'ébénistes capables de satisfaire mon désir de meubles beaux, actuels et pas trop chers. Je demande à mon fils combien de copains (et de copines) dans sa classe veulent être ébénistes plus tard. Il me répond "à peu près le même nombre que ceux qui veulent être bouchers, relieurs, peintres, cordonniers, plombiers...".
J'avais oublié que depuis deux générations on fait comprendre aux jeunes qu'il vaut mieux être fonctionnaire ou staracadémicien que travailleur manuel.
Et s'ils ne peuvent pas être fonctionnaire, il y aura toujours une place de vendeur dans une grande enseigne. Ikéa par exemple.

Chantage à l’emploi

J'entends d'ici qu'on me traite d'utopiste et même d'égoïste : une grande surface qui crée des emplois, c'est pas négligeable par les temps qui courent. Le chantage à l'emploi comme paravent pour masquer le manque d'imagination. Car en cherchant un meuble moderne fabriqué par des jeunes de chez moi, j'ai envie de faire vivre des entreprises là, chez moi. C'est exactement ce qu'a pensé chez lui, il y a déjà longtemps, le très malin créateur d'Ikéa !  
Pourquoi l'ébénisterie et l'artisanat ont-ils perdu leur place dans le paysage économique et culturel. Nos modes de vie ont changé. Je vous l'accorde. Mais pourquoi précisément cela s'est fait au prix de la diminution des métiers qui contribuent à l'identité d'une région ?

La culture trop souvent une affaire d’initiés

Personnellement je pense que l'art et la création sont encore trop souvent considérés comme réservés à une élite. En quelque sorte, les créateurs et les artistes sont les "cagots" de notre économie... et de notre éducation. Car, contrairement à d'autres pays européens, il est difficile chez nous d'assurer une authentique éducation artistique aux jeunes et on accompagne rarement les adultes dans la découverte et compréhension de la création contemporaine. La culture est trop souvent une affaire d'initiés, les autres n'ont droit qu'à la télé ou à la console de jeux. Posée sur un guéridon Ikéa.

Savoir faire au service d’une culture vivante

J'avais suggéré dans le temps, que le Centre d'Education au Patrimoine "Ospitalea" à Irissarry se donne aussi pour mission de travailler avec les artisans et les organismes de formation professionnelle pour les conscientiser et les former, non pas à leur métier mais au sens de l'héritage dont ils sont porteurs. Ceci afin d'éviter qu'ils ne deviennent prisonniers d'une (re)production facile mais stérile : la copie d'ancien et, qu'à l'inverse, ils mettent leur savoir-faire au service d'une culture vivante. Je fais partie de la Commission départementale des objets mobiliers. Je ne sais pas si dans quelques années on classera les meubles Ikéa aux Monuments Historiques mais je crains qu'on aura du mal à trouver du beau mobilier "populaire" issu des ateliers basques, landais et béarnais au début du 21è siècle.”





3 questions à un professionnel du bois et du meuble : à Christophe Nowakowski

Quels sont les moyens que les ébénistes et professionnels du bois ont pour produire ici à un prix convenable, un vrai meuble simple, fonctionnel et moderne ?

“Dans mon métier j’arrive à travailler avec du bois local et à répondre aux besoins de personnes qui n’ont pas trouvé de réponse ailleurs... même chez Ikéa ! Etre ébéniste ça permet d’échanger avec des gens qui veulent des meubles qui correspondent à leur sensibilité, leurs souvenirs, leur style... et accompagnent la fabrication du meuble. Mais bon, au prix de l’immobilier et compte tenu du “tout voiture” qui existe... il faut reconnaître que tout est fait pour que ce ne soit plus le “prix convenable” qui intéresse comme il y a quelques années mais “le prix le plus bas des catalogues des grandes chaines ou grandes surfaces”...”

D’où l’arrivée d’Ikéa... Selon vous quelle alternative peut se mettre en place sur place ?

“D’abord, pour mieux connaître Ikéa, il suffit d’aller sur le site du Monde Diplomatique, qui permet de découvrir les pratiques sociales de cette grande enseigne. Ces catalogues poussent à la consommation de meubles dont le but semble être de ne pas perdurer afin d’assurer des débouchés pour les nouvel-les lignes... Ici au Pays Basque nous avons différentes possibilités à exploiter face à cela : création d’un pôle d’artisans, travailler avec les échanges fructueux que nous avons avec notre réseau de client, nous rendre plus visible par l’usage d’internet, etc.”

Quels moyens avez-vous ou essayez-vous d’utiliser pour éduquer et susciter la demande pour que l’artisanat d’ici continue à vivre ?

“Au niveau personnel et familial, j’ai déjà fait le choix de privilégier l’”échange” avec les commerçants et artisans du quartier. Le fait de faire le marché, discuter et échanger est pour nous quelque chose de très important qui n’est pas compatible avec la logique des grandes surfaces  ou les contacts sont quasi inexistants... A un niveau plus général, il me semble que les expositions culturelles où différents artisans peuvent présenter leur travail et échanger autrement avec le public peuvent aussi contribuer à l’éducation, la sensibilisation et à la dynamisation de cette demande.”
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