Croissance, décroissance... comment les maîtriser ? 2/2

Publié le par Alda

par Alain Lipietz

 

 

Où se prennent les décisions politiques pouvant influencer de façon significative la croissance ou la décroissance ?
Au niveau local, l'exemple de l'entrée massive des écologistes au sein des Conseils Régionaux en 1992 a été un cas concret des résultats que peut obtenir la mobilisation sociale quand elle se traduit en politique.
Ainsi, c'est à partir de cette date que les études épidémiologiques sur certaines maladies chroniques (l'asthme, le cancer, etc.) ont commencé à recevoir une attention réelle. Les premiers liens entre la pollution et certaines maladies ont pu être établis. Par ce fait, les premières mesures de prévention ont trouvé leur raison d'être (limitation de la circulation automobile, etc.).
LE PROJET REACH
De nos jours les liens possibles entre la pollution et différentes maladies sont étudiés à l'échelle européenne avec le projet REACH. Ce projet de l'Union Européenne avait à l'origine comme but l'étude  de 100 000 molécules nouvelles mises en circulation depuis 50 ans. Sous la pression de lobbies, il n'étudiera les risques que de 3 à 7 000 de ces molécules. Malgré les difficultés rencontrées, il est très probable que dans quelques années on pourra identifier les contaminants causant les maladies actuelles ou la baisse de la fertilité masculine par exemple.
PRINCIPE DE PRECAUTION
De même, on applique ou essaie d'appliquer dans tous les organes de décision le principe de précaution. L'objectif est d'éviter de faire les mêmes erreurs qu'avec l'amiante il y a 70 ans. Son usage avait été généralisé en pensant que c'était la formule idéale pour isoler et limiter les risques d'incendie... Aucune étude n'avait été effectuée pour savoir quels pouvaient être les dangers de l'amiante sur la santé humaine. La même question se pose sur les OGM depuis le problème de la vache folle ; avec le principe de précaution, il faut vérifier si c'est très utile et non dangereux de rendre comestible une espèce animale ou végétale génétiquement modifiée !
En démocratie, quand certains mouvements sociaux réussissent à faire valoir leur aspiration comme bonne pour toute la société, cette aspiration doit devenir la règle (en général par la loi et par le budget).
Il faut se poser la question suivante : à quel niveau est-il pertinent de voter des lois et des budgets ?
IMPORTANCE DE LA POLITIQUE LOCALE
À l'heure actuelle, on considère que 80 % du travail humain utilisé au cours d'une vie a été produit dans un rayon de 20 km autour de chez soi. La politique locale est donc très importante. Les 20 % restants correspondent aux échanges internationaux (surtout européens). On peut donc considérer que l'espace pertinent pour prendre les décisions influençant ces échanges internationaux est l'Europe. Cette dernière constitue un espace économique autosuffisant qui pourrait et devrait prendre des mesures pour contrôler les effets négatifs de la croissance dans tous ses pays membres. Pour cela il lui faut une structure politique lui permettant de légiférer dans le domaine de la santé et de l'environnement. La pression des différents lobbies sur les responsables politiques ou parlementaires européens limite beaucoup cette capacité à légiférer.
Pour illustrer cette situation par un cas concret, on peut prendre l'exemple de l'augmentation de l'emploi par la réduction du temps de travail au niveau européen. Si aucun pays européen ne se dispense d'appliquer la législation européenne en matière de temps de travail (via l’"opt out ") il est tout a fait envisageable de passer aux 35 heures et de créer la même quantité de marchandise avec plus d'emplois.
La loi étant appliquée dans tous les pays, la concurrence ne serait pas faussée et la mesure deviendrait économiquement viable. Les salariés auraient plus de temps pour eux et ne subiraient pas de baisse de niveau de vie. Ainsi, les lois sociales au niveau européen doivent faire en sorte que l'entreprise ne puisse plus exploiter de façon abusive la nature ou la force humaine. Nous avons ici un cas concret d'augmentation de l'emploi ne passant pas par la croissance. Malheureusement la situation institutionnelle de l'Europe actuelle ne permet pas cela. Il faudrait un cadre politique adapté à l'espace européen de circulation de la marchandise... Dans 50 ans, le monde lui-même sera unifié économiquement : c'est pourquoi il faut aussi penser aux lois mondiales.
Ce cadre européen, qui pour l'instant n'a pas encore l'ossature politique nécessaire, devra servir à exiger des autres ensembles économiques (États-Unis, Chine, Inde, etc.), le respect, le renforcement et la multiplication de lois mondiales comme :
-Le Protocole de Kyoto : les États-Unis seront bien amenés, à force de recevoir des tempêtes, à signer l'accord ! 
-Les décisions de l'Organisation Mondiale de la Santé. 
-La FAO (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture).
Ces deux derniers organismes sont plus forts que l'OMC : ils peuvent autoriser l'arrêt de la circulation de marchandise en cas de maladie contagieuse (fièvre aphteuse, p. ex.).
Dans un avenir proche, il faudrait mettre des clauses sociales sur le libre-échange avec la Chine, en avisant ce pays que compte tenu de sa richesse il doit payer plus sérieusement les ouvriers pour que l'Europe maintienne les frontières ouvertes.
L'objectif est que les grands accords de défense de l'environnement et des droits des travailleurs s'appliquent au-dessus de l'Organisation Mondiale du Commerce. En fait, les mesures légales prises doivent s'appliquer à la grande majorité des marchandises en circulation. D'ici 20 ans il faut pouvoir exiger au niveau mondial des clauses sociales assurant un salaire décent comme une condition minimum de commerce...
Le paradoxe est le suivant : on a besoin de lois européennes, bientôt mondiales, pour augmenter la liberté locale. Aujourd'hui, pondre à l'échelle nationale des lois sociales et environnementales favorables au bien-être humain et à l'environnement... c'est s'exposer  à la menace de la concurrence !  Pour se protéger, la solution consiste à diminuer ce qui fausse la concurrence, par l'harmonisation des lois nationales, pour interdire la concurrence à coup de bas salaire ou de non-respect de l'environnement.

Publié dans Ecologie - Ekologia

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