L’Histoire du Roi Transparent

Publié le par Alda



Par Igor Ahedo
“Ce livre de Rosa Montero est une métaphore
de l'époque actuelle marquée par l'intégrisme religieux,

l'impérialisme belliqueux et les luttes intestines
pour le pouvoir local, régional ou mondial.”

Alda! publie un texte de réflexion de l’universitaire Igor Ahedo qui part du livre de Rosa Montero “Le Roi transparent” et nous permet  de mieux cerner une des conditions nécessaires pour retrouver l’espoir dans la Politique. 

“Depuis quelques jours, l'Histoire du Roi transparent obnubile ma pensée. L'Histoire du Roi Transparent est un magnifique roman de Rosa Montero qui raconte la vie de Leola, une jeune paysanne du bas Moyen Âge français. Leola doit faire face avec l'aide de la magie, et surtout de sa ténacité, à un monde profondément machiste et violent, marqué par le génocide systématique de la population cathare. Génocide mené par un Roi de France, qui souhaite éliminer des concurrents occitans et par une Eglise catholique voulant faire disparaître les derniers vestiges d'une religion albigeoise, qui a réussi à se mettre en phase avec les préoccupations de la pauvre population rurale du sud de l'hexagone, au grand effroi de la Papauté.
Mais, ce n'est pas un roman historique, comme le reconnaît Rosa Montero, mais plutôt une métaphore de l'époque actuelle marquée par l'intégrisme religieux, l'impérialisme belliqueux et les luttes intestines pour le pouvoir local, régional ou mondial.
Je ne pense pas qu'il soit difficile de déduire que le dernier acte en date de la pièce de théâtre qui débute avec le siège du fanatisme religieux à Montségur en 1 243 soit le spectacle répugnant de l'assassinat en toute impunité de centaines de civils à Gaza.
Mais la fin du roman renforce son extrême actualité.
Rosa Montero raconte de façon magistrale, l'histoire d'un Roi, ni bon, ni mauvais, qui célèbre la naissance de son rejeton tant désiré. Le Roi, pour fêter cette grande nouvelle concernant la continuité de sa descendance, invite toutes les fées du Royaume, sauf l'une d'elles, la plus méchante. Mais, cette dernière se présente à la cérémonie et offre au fils du souverain un don spécial : que tout ce qu'il dit soit cru. Le père considérant qu'il s'agissait là d'une opportunité irrécusable, qui exalterait la gloire de son rejeton, accepte.
A la  mort du Roi, son fils commence à exercer le pouvoir comme Roi, en observant rapidement les vertus de son don. Mais, il découvre que sa capacité de convertir en vérité n'importe quoi en se contentant de le nommer est un instrument qui renforce son pouvoir beaucoup plus qu'on imaginait. Et ainsi, il fait et défait ce qu’il veut avec le seul objectif de maintenir sa domination sur ses sujets. Ces derniers, en voyant qu'il avait ouvert la porte à l'usage du mensonge, décident de ne pas se priver de cet usage. Très vite, ce royaume, ni riche, ni pauvre, gouverné durant des siècles par une famille de rois, ni bons, ni mauvais, se transforma en un royaume corrompu par le mensonge.

“Dès que tu m’évoques, je n’existe plus”
Un beau matin, le Roi observe du haut de la tour de son château les confins de son royaume et, horrifié, les voit s'estomper… Surpris il regarde les créneaux de sa forteresse et les voit disparaître devant ses yeux. Accablé, il lève les mains aux cieux, mais s'aperçoit en suivant que ces dernières commencent à devenir transparentes. Incapable de comprendre ce qui lui arrive, le Roi fait appel à la sagesse du vieux dragon, qui somnolant, après avoir écouté les préoccupations du souverain, répond avec une devinette à la question consistant à savoir pourquoi le royaume disparaissait devant ses yeux. "Dès que tu m'évoques, je n'existe plus", dit l'animal.
Le mensonge finit par transformer un Roi, ni bon, ni mauvais, en un monarque despotique qui finit par voir comment, non seulement son règne, mais lui-même, devenait transparent. Il disparaissait.

Fonder son empire sur le mensonge
George W. Bush est déjà dans son ranch. Depuis son ranch il peut voir comment son royaume se défait. Car comme le précédent, notre Roi transparent, a fondé son empire sur le mensonge. Le mensonge des armes de destruction massive qui ont permis d’alimenter la cupidité  des entreprises privées de destruction et de reconstruction. Le mensonge qui a abouti à une guerre qui elle-même a alimenté la haine, la souffrance et la douleur partout. Notre Roi transparent s'est appuyé sur le mensonge du marché libre pour permettre à une bande de voleurs de s'enrichir grossièrement, en animant tout le monde à réclamer sa part du butin, à chacun selon ses possibilités : pour certains en conseillant des entreprises après être passés au gouvernement, pour d'autres en jouant avec l'argent et les espoirs de milliers de travailleurs dans la roulette russe du marché.

Mensonge dit de la fin de l’histoire
Notre Roi transparent s'est  aussi attaché au mensonge dit de la fin de l'histoire. Ce mensonge qui nous disait qu'après l'effondrement du Socialisme réel, le modèle démocratique libéral de l'occident avait atteint le plus haut degré de perfection dans le monde des idées. Ce mensonge qui nous disait qu'un autre monde n'était pas possible. Que l'idée d'égalité devait être laissée de côté par le parfait formalisme de la démocratie qui tous les 4 ans élit ses gouvernants. Ce mensonge nous présentait les communautés indigènes du Chiapas, l'organisation communautaire en Bolivie ou au Brésil, la grande volonté d'égalité et de justice des mouvements alter-mondialistes… comme des anachronismes du passé que le tsunami idéologique néolibéral allait balayer à jamais de nos mémoires.

Le projet idéologique libéral prend l’eau
Mensonges impériaux, mensonges économiques, mensonges idéologiques. Mais le mensonge s'est retourné contre notre Roi transparent. Maintenant, de son ranch, Bush observe comment son royaume se dilue : comment la Guerre en Irak s'est convertie en échec sans précédent dans l'histoire moderne des Etats-Unis, comment le crack financier a obligé le néolibéralisme à recourir à l'Etat qu'il injuriait toujours, comment le projet idéologique libéral prend l'eau devant la renaissance de nouvelles formes d'action politique en Amérique Centrale, dans le Cône Sud… et aux Etats-Unis, avec l'émergence de la figure d'Obama, et les échos de la fin de son discours d'investiture : "Avec l'espoir et la vertu, esquivons à nouveau les courants gelés, et supportons les tempêtes qui nous tombent dessus. Que les enfants de nos enfants disent que quand nous avons été mis à l'épreuve, nous avons refusé de permettre que ce voyage s'achève, nous n'avons pas fait marche arrière, et qu'en fixant l'horizon (…) nous avons transporté ce grand présent qu'est la liberté et l'avons remise saine et sauve aux générations futures".
Ça diffère de la proclamation de guerre permanente contre la terreur avec laquelle George W. Bush a débuté son mandat. Obama nous parle d'espoir. Bush nous parlait de peur.

L’espoir, c’est l’essence de la Politique
L'espoir face au futur dont nous fait part Obama n'est pas neuf dans le monde des idées politiques. De fait, c'est l'essence de la Politique (avec un P majuscule). Ce qui est nouveau, c'est l'espoir en un nouveau type de leadership. Ça c'est nouveau. C'est ce qui est à l’origine des larmes versées lors de la cérémonie d'investiture d'Obama par des milliers de citoyens anonymes qui voyaient que leur rêve commençait à se transformer en réalité. Obama a un don. Comme le Roi transparent de Rosa Montero, lui aussi a réussi à faire en sorte que ses mots se convertissent en réalité, que ses mots d'espoir dans l'avenir se transforment en espoir dans son mandat. Il a un grand défi devant lui, et je ne serai pas celui qui s'amusera à mettre en pièce des rêves qui adoucissent un monde rempli de trop de cauchemars bien réels.

La Politique ou l’art de rendre possible l’impossible
Mais Obama ne peut perdre de vue l'Histoire du Roi transparent. Parce que le don de faire en sorte que tout ce qu'il dit soit cru peut finalement convertir le simple mensonge en une tentation trop forte. Si le don de faire en sorte que les citoyens d'une grande partie de la planète commencent à récupérer l'espoir dans la Politique aboutit à un échec, si l'espoir se plie aux intérêts mesquins des groupes de pression, si un jour on arrive à la conclusion que la parole d'Obama était creuse, voire fausse, si le mensonge s'impose... le royaume de l'espoir dans la Politique, compris comme l'art de rendre possible l'impossible, s'affaiblira. Ainsi probablement, c'est le royaume de la loi du plus fort qui s'imposera. Même si les "plus forts" sont les moins nombreux. Même s'ils sont une minorité.
Il y a trop de Rois transparents dans l'Histoire de l'humanité. Espérons que nous ne venons pas d'assister au couronnement du dernier monarque d'une lignée condamnée à disparaître... ou à nous faire disparaître.
J'espère qu'on pourra retrouver l'espoir dans la Politique. Dans la planète. Dans notre petite terre basque.”

Publié dans Orotarik

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article