Il y a 10 ans, le processus de Lizarra-Garazi

Publié le par Alda



par Txetx Etcheverry


Il y a tout juste dix ans de cela en ce mois de septembre 2008, le Pays Basque expérimentait -de manière hélas très brève- la passionnante aventure d'un processus souverainiste civil. Le rapport de force abertzale face aux Etats français et espagnols prit dans cette courte période une ampleur qui n'avait pas été égalée depuis de nombreuses années, et qui ne fera qu'aller en s'amenuisant de manière dramatique après la rupture de ce que l'on dénomma le processus de Lizarra-Garazi.

Un avant et un après

En août 1998, ETA signe un accord avec les deux partis politiques abertzale opposés à la violence par lequel l'organisation armée accepte de décréter une trêve unilatérale en échange de la mise en place d'un pôle souverainiste civil (rupture des alliances du PNV et d'EA avec les partis espagnolistes, engagement à impulser des accords entre forces favorables au droit à l'autodétermination, engagement à créer une institution des 7 provinces).
Ce double engagement à taire les armes et à impulser des dynamiques en faveur de l'autodétermination et de la construction nationale va permettre le lancement d'un processus souverainiste civil qui va très rapidement démontrer tout son potentiel subversif.
Le 12 septembre à Lizarra, divers mouvements sociaux du Pays Basque sud, plusieurs syndicats dont LAB et ELA, les partis d'Hegoalde HB, PNV, EA, IU et Zutik-Batzarre, et le parti d'Iparralde Abertzaleen Batasuna signent une déclaration commune insistant notamment sur le droit à décider d'Euskal Herria et sur la territorialité (le problème basque à résoudre concerne aussi Ipar-ralde et l'Etat français).
Le 2 octobre, cette déclaration était ratifiée à Garazi, et sera ainsi désormais appelée "Les accords de Lizarra-Garazi", tout ceci venant renforcer la dimension nationale de cette initiative. Il y aura un avant et un après Lizarra-Garazi dans le rapport réel des abertzale au Zazpiak Bat.
Dès lors, Euskal Herria va connaître une période exceptionnelle de mobilisations et d'initiatives qui vont s'enchaîner à un rythme étonnant dans cette période qui n'aura pourtant duré que 14 mois.

La société basque se mobilise

La mobilisation de la société basque est réelle et favorisée par l'espoir et l'illusion que suscite ce nouveau panorama. D'impressionnantes manifestations en faveur du rapprochement des prisonniers politiques basques vont avoir lieu au nord et et au sud. L'une d'entre elles qui est appelée le 9 janvier 1999 à Bilbao par l'ensemble des organisations politiques signataires des Accords de Lizarra-Garazi est un des plus grands rassemblements de ces dernières années en faveur des prisonniers basques.
Le matin du 4 avril, des rassemblements unitaires réunissant les abertzale de toutes tendances ont lieu un peu partout en Euskal Herria, devant les mairies, pour célébrer l'Aberri Eguna.
Le 10 avril, une très importante manifestation des forces signataires des accords de Lizarra Garazi a lieu sous le thème "Bakea eraikitzen Euskal Herriak du hitza". La banderole de tête est tenue par Xabier Arzallus du PNV, Arnaldo Otegi d'Herri Batasuna, Mertxe Colina d'Abertzaleen Batasuna, Carlos Garaikoetexea d'EA, Rafa Diez de LAB et Jose Elorrieta d'ELA.
Le 12 avril, convoquée sur le même mot d'ordre, une grève générale d'une heure a lieu dans tout le Pays Basque sud.
La majorité syndicale basque, autour d'ELA et de LAB, va réaliser la plus grande des manifestations du 1er Mai 1999 à Iruñea. Ce rassemblement est le prélude à une grève générale particulièrement suivie qui aura lieu le 21 Mai, autour notamment du mot d'ordre des 35 heures.
Le 30 janvier et le 9 octobre à Bayonne auront lieu les deux plus grandes manifestations qu'Ipar-ralde ait connues sur des revendications politiques basques, celles du département Pays Basque et de la co-officialisation de l'euskara.
La mobilisation est également palpables à la base : les Appels des 100 pour le département Pays Basque fleurissent canton par canton en Iparralde. En Hegoalde, des sympathisants du PNV, d'EA et d'Herri Batasuna vont prendre les mêmes bus ou coller les mêmes affiches pour se rendre aux mêmes manifestations de masse. Quelques mois auparavant pourtant, les uns jetaient des coktails molotov contre les batzokis du PNV et d'EA pendant que les autres envoyaient la Hertzaintza matraquer et incarcérer les militants de la gauche abertzale. La presse regorge d'articles et de courriers enthousiastes et pleins d'optimisme, analysant la situation présente et les perspectives potentielles.

Un nouveau rapport de forces
Les résultats électoraux reflètent clairement ce nouveau climat. Le 25 octobre 1998, après une campagne fortement polarisée, les forces de Lizarra-Garazi obtiennent 60,74 % des  voix aux élections pour le Parlement Basque contre 39,26% aux forces espagnolistes. Euskal Herritarrok (mouvement lancé par Herri Batasuna qui a intégré de nouveaux secteurs entraînés par la dynamique de la trêve) crève le plafond de la gauche abertzale en obtenant 223 264 voix dans la seule Communauté Autonome Basque, soit 57 117 voix de plus qu'au scrutin précédent.
Le 13 juin 1999, aux élections européennes, PNV et EA ont chacun un euro-député et HB retrouve le sien. Ce sera Koldo Gorostiaga. Les forces de Lizarra-Garazi sont majoritaires sur l'ensemble du Pays Basque sud aux élections municipales. Euskal Herritarrok crève un nou-veau plafond électoral avec  plus de 270 000 voix sur l'ensemble d'Hegoalde ! Il remporte également 8 sièges au Parlement de Navarre, se situe à 14 000 voix à peine du PSN-PSOE, et devient la seconde force à Iruñea. Une trentaine de prisonniers politiques basques sont élus conseillers municipaux et seront transférés et accueillis triomphalement dans leurs communes respectives le 3 juillet le temps des réunions de constitution des nouvelles municipalités.
Le 18 mai, EH, PNV et EA forment une majorité parlementaire appuyant le président Ibarretxe.
Un nouveau rapport de forces s'est visiblement créé et un transfert de légitimité a lieu : Aznar et le gouvernement espagnol paraissent dépassés par les évènements, commencent à endosser le mauvais rôle de l'intransigeance et de l'immobilisme face à une dynamique abertzale pacifique et bénéficiant d'un appui majoritaire de la société basque. Le 3 novembre, Aznar autorise les contacts et discussions de représentants officiels du gouvernement avec ETA.  Le 18 décembre, 21 prisonniers politiques basques sont rapprochés de l'Afrique du Nord et des îles espagnoles vers la péninsule. Le 21 juillet, la Mahai Nazionala d'HB qui a été condamnée en décembre 1997 à 7 ans de prison ferme est libérée. HB qui devait être illégalisée (c'était une des raisons de la création d'Euskal Herritarrok) ne l'est pas. Malgré tous ces événements bien plus intéressants que tout ce qui se produira par la suite pendant le processus officiel de négociation entre ETA et Zapatero, la répression continue également avec l'arrestation de plusieurs militant(e)s d'ETA et surtout l'assassinat de l'un d'entre eux, Joselu Geresta, le 20 mars 1999. L'organisation ETA de son côté continue les opérations visant à renforcer son infrastructure, avec notamment le 28 septembre 1999 le vol de 9 tonnes de dynamite à Plévin. Et la Kale Borroka reprend  également dans l'année 1999 malgré des critiques publiques de leaders style Arnaldo Otegi ou Rafa Diez.
C'est d'ailleurs pour montrer qu'il peut exister d'autres manières d'exprimer la colère et la révolte que des mouvements de désobéissance civile naissent ou se préparent, dont principalement Zuzen et les Démos avec des actions spectaculaires comme celle des Giraldillas à la cérémonie d'inauguration du championnat mondial d'athlétisme à Séville, le 20 août 1999, dont la retransmission télévisuelle touchait un public potentiel de 3,5 milliards de personnes (ce qui lui valu d'être qualifiée d'"Ekintza mundiala"). Le 1er novembre 1999, le collectif des prisonniers politiques basque annonce sa décision d'entamer des grèves de la faim illimitées pour réclamer un certain nombre de droits tels que le statut de prisonniers politiques et le rapprochement de l'ensemble des prisonniers basques.

La première institution nationale d'Euskal Herria
Mais la principale nouveauté de cette période est la naissance d'une institution parallèle, alternative, représentant pour la première fois de l'histoire contemporaine d'Euskal Herria l'ensemble des sept provinces : elle a pour nom Udalbil-tza. Des centaines de mairies et d'élus municipaux de tous les partis abertzale y adhèrent afin d'y impulser un travail de construction nationale du Pays Basque. L'enjeu dépasse largement le cadre symbolique et Udalbiltza gérera un budget bien concret, alimenté par un pourcentage des budgets municipaux, puis par des dotations de certaines diputaciones. L'annonce de sa création déclenche une vague de réactions hystériques du PSOE, PP et de la presse espagnole, mais également des partis jacobins français : le Parti Socialiste des Pyrénées-Atlantique organisera même une conférence de presse pour dénoncer cette initiative pourtant tout ce qu'il y a de plus démocratique et pacifique.
Le 6 février 1999, 660 élus tiennent  à Iruñea la première assemblée constitutive d'Udalbiltza. L'institution nationale se met dès lors à l'oeuvre, notamment en Iparralde où des réunions rassemblant élus et acteurs du développement local commencent à plancher sur des projets inspirés par la logique de solidarité nationale. Le 18 septembre, ce sont 1789 élus -venus des sept provinces basques- qui tiennent une nouvelle assemblée, cette fois à Bilbao. Une motion d'adhésion à Udalbiltza est envoyée à toutes les mairies.
Le 25 novembre, après de longues tergiversations de son maire, appartenant aux secteurs les moins déterminés du PNV, Bilbao, plus grande municipalité du Pays Basque, forte de ses 400 000 habitant(e)s adhère officiellement à Udalbiltza.
Le 28 novembre, ETA annonce... sa décision de rompre la trêve, interrompant ainsi de manière aussi brutale qu'inexplicable le processus de Lizarra-Garazi.

A quand un retour à la stratégie gagnante ?
En ce dixième anniversaire de la signature des accords de Lizarra-Garazi, il est important de se pencher à nouveau sur ce processus qui a marqué l'histoire d'Euskal Herria : tout d'abord parce que ce fut là la première stratégie réellement nationale qu'aient connus les abertzale des sept provinces. Elle était réellement nationale car aussi assumable et efficace pour un(e) abertzale de Biscaye ou du Gipuzkoa que pour un(e) abertzale de Navar-re ou d'Iparralde. Ensuite parce que le processus de Lizarra-Garazi contenait les éléments d'une stratégie gagnante pour le combat abertzale.
En effet, nous gagnions alors sur tous les tableaux, ce qui rend d'autant plus incompréhensible le fait d'avoir stoppé ce processus. Et c'est  également ce qui rend incompréhensible le refus d'en finir avec les dynamiques perdantes que l'on a connues depuis, pour se diriger à nouveau vers les éléments fondamentaux qui ont été à la base de cette stratégie gagnante.

SESSION DE FORMATION :
"Il y a dix ans, le processus de Lizarra-Garazi. Une stratégie gagnante pour Euskal Herria"
Samedi 18 octobre à 10h00 du matin au local de la Fondation Manu Robles-Arangiz à Bayonne.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article