L'impossible victoire militaire des Occidentaux en Afghanistan

Publié le par Alda



par Jean-Marie Muller,
écrivain et porte-parole national du Mouvement pour une Alternative Non-violente (www.non-violence.fr)

“Pour pouvoir espérer dans la paix,
il faudrait commencer par désespérer de la guerre”


Alda! publie des extraits de la réflexion de Jean-Marie Muller suite aux déclarations de Nicolas Sarkozy après la mort des 10 soldats français en Afghanistan. Jean-Marie Muller,  spécialiste de la non-violence animera un Séminaire le 10 octobre au Sénat  (“La Non-violence, pour renouveler  l’action politique aujourd’hui”) avec   Raja Gopal, de la Fondation  Ektaparishad et organisateur de la Marche des Gueux en Inde en 2007. Le 18 octobre  Jean-Marie Muller interviendra lors  de la journée de formation, de débat et  de réflexion sur la “Force de la Non- violence”, à la Fondation Manu Robles-Arangiz, à Bayonne.

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Comme s’il voulait conjurer le mauvais sort, Nicolas Sarkozy ne cesse de répéter : «Nous n’avons pas le droit de perdre». Dans son discours du 3 avril à Bucarest, il avait été plus précis : «La France est présente aux côtés de ses amis et de ses Alliés jusqu’à la victoire. Je dis au président Karzaï, il peut compter sur nous jusqu’à la victoire. L’échec est parfaitement interdit.»
En réalité, la coalition internationale se trouve dans l’impossibilité de gagner la guerre. Il suffit aux talibans de ne pas perdre pour prétendre avoir déjà gagné. Quant aux Occidentaux, il suffit qu’ils se trouvent dans l’impossibilité de vaincre pour avoir déjà perdu. Le Président français s'égare lorsqu'il croit pouvoir affirmer : "Nous faisons la guerre à une bande de terroristes" Il s'abuse pareillement lorsqu'il qualifie les talibans d'une "clique lâche, moyenâgeuse".
Si les talibans n'étaient qu'une "bande", comment se fait-il que la puissance de feu des quelque 70 000 hommes de l'armée de la coalition occidentale ne soit pas parvenue à la décimer après tant d'années de guerre ? Non, Monsieur le Président, les talibans ne sont pas une "bande". Ils ne sont pas une "clique". Ils sont des milliers d'hommes en armes convaincus qu'ils mènent le bon combat contre les forces étrangères qui occupent leur pays et que vous ne parviendrez pas à désarmer.
N'attendez pas de leur part une quelconque reddition. Ils ne vivent pas dans les bois, mais contrôlent une grande partie du pays où ils trouvent de nombreuses complicités au sein de la population. Par ailleurs, on assiste à une internationalisation du conflit avec la venue de nombreux combattants étrangers. Les talibans bénéficient également de bases arrière au Pakistan dans les zones frontalières. L'échec est peut-être interdit, mais le fait est qu'il est déjà inscrit dans la réalité.

Comprendre pour combattre intelligemment

Surtout, présenter les talibans comme une bande de terroristes, une clique de barbares, c'est s'interdire de comprendre le terrorisme et donc de le combattre intelligemment. Le procédé est vieux comme le monde, mais il est toujours de mauvaise méthode de vouloir barbariser et déshumaniser l'adversaire. S'il s'agissait seulement de faire la guerre à une bande ou à une clique, le problème serait simple et sa solution aussi. Or, le fait est que l'un et l'autre sont compliqués. Très compliqués. Extrêmement compliqués. Il est particulièrement grave qu'un chef d'État s'enferme dans une vision aussi simplificatrice de la réalité qui ne rend compte de rien et qui n'explique rien.
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On ne combat pas le terrorisme avec des bombes
Nicolas Sarkozy voudrait établir un bilan largement positif de l'action menée par les forces armées de la coalition occidentale. "C'est grâce à vous, a-t-il dit aux soldats présents à Kaboul, que des gens peuvent vivre normalement." Mais qui peut croire que la vie est redevenue normale en Afghanistan depuis l'offensive occidentale d'octobre 2001 alors même que l'insécurité règne dans la plus grande partie du pays ? On ne combat pas le terrorisme avec des bombes. Dans la nuit du 21 au 22 août, quelques heures seulement après que Nicolas Sarkozy ait exalté le combat contre la barbarie mené en Afghanistan, 90 civils ont été tués par des bombardements de la coalition internationale. Dans un premier temps, la coalition a démenti avoir tué des civils et n'a fait état que de la mort de trente insurgés. Mais le 26 août, le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Afghanistan publiait un communiqué dans lequel il affirmait : "L'enquête de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a trouvé des preuves convaincantes, fondées sur le témoignage de témoins visuels, et d'autres, que 90 civils ont été tués, dont 60 enfants, 15 femmes et 15 hommes, 15 autres villageois ont été blessés." Plusieurs maisons ont été détruites.
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Le 25 août, le gouvernement afghan a demandé qu'il soit mis un terme "aux frappes aériennes visant des cibles civiles, aux perquisitions et aux détentions illégales de citoyens afghans". Il a rappelé qu'il "a discuté à de nombreuses reprises de ce sujet avec les forces internationales demandant l'arrêt des bombardements contre les villages afghans. Malheureusement, à ce jour, nos demandes n'ont pas été entendues, de plus en plus de civils perdent leur vie dans des frappes aériennes."
Il faudrait tout de même que le Président de la République française se demande si la violence aveugle des bombardements meurtriers de la coalition occidentale est de nature à faire prévaloir les valeurs universelles de la civilisation sur les forces de la barbarie. Quel message l'Occident fait-il parvenir au peuple des humiliés en lançant ses bombes tueuses d'enfants sur les maisons afghanes ? N'y a-t-il pas là une certaine barbarie ?
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Fertiliser le terreau dans lequel le terrorisme s’enracine
Les violences perpétrées en Afghanistan risquent au contraire de fertiliser le terreau dans lequel le terrorisme s'enracine. Elles risquent d'armer les sentiments, les pensées et les bras de ceux qui voudront venger chez nous les morts que nous aurons causées là-bas.
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Certes, les démocraties doivent se défendre contre le terrorisme. Mais la stratégie mise en œuvre jusqu'à présent par l'Alliance atlantique non seulement s'avère incapable de l'éradiquer, mais elle le nourrit.

Solution politique
La solution de la crise afghane ne peut être que politique et elle ne peut être mise en œuvre que par les Afghans eux-mêmes. Dès lors qu'il est impensable d'éliminer les talibans, il faudra bien parler avec eux et inventer avec eux un compromis.
J'entends bien que les réalistes vont se récrier d'indignation. Parler avec les terroristes, vous n'y pensez pas ! Eh bien si, précisément, il est urgent d'y penser.

Il faut un jour décider de parler aux terroristes
L'histoire nous montre que, toujours et partout, il faut un jour décider de parler aux terroristes. Au demeurant, il semble que les dirigeants afghans eux-mêmes y pensent et qu'ils ont déjà tenté certaines ouvertures politiques en direction des talibans.

Construire les infrastructures sociales, économiques et administratives
Il appartient à la diplomatie internationale de se décider enfin à accompagner ces efforts. Tout en s'inscrivant dans une stratégie de retrait des forces étrangères, la communauté internationale doit aider les acteurs de la société civile afghane à la construction d'infrastructures sociales, économiques et administratives qui permettent de satisfaire les besoins vitaux de la population. Des ONG sont déjà à l'œuvre sur le terrain et font un travail remarquable dans le domaine de l'éducation, de la santé et du développement. C'est l'aide à ce travail qui doit être prioritaire.

La route vers la démocratie sera longue
La tâche est gigantesque dans une société gangrenée par la corruption et où les pouvoirs locaux sont confisqués par des chefs tribaux et des chefs de guerre. La route vers la démocratie sera longue et, là aussi, l'enlisement est toujours possible, mais il n'y a pas d'autre voie.
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Désespérer de la guerre
Bernanos disait encore : "Pour être prêts à espérer en ce qui ne trompe pas, il faut d'abord désespérer de ce qui trompe."
Pour pouvoir espérer dans la paix, il faudrait commencer par désespérer de la guerre.
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Publié dans Orotarik

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