S'approprier les questions Européennes

Publié le par Alda

A moins de 10 jours de leur conférence-débat contradictoire
à la Fondation Manu Robles-Arangiz,
voici l’interview de Philippe Ducat et de Bernard Dreano


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Pourquoi avez-vous appuyé le OUI (Philippe Ducat) ou le NON (Bernard Dreano) au Traité Constitutionnel Européen ?

Philippe Ducat (OUI) : L'Europe ayant malheureusement échoué à trouver par elle-même une issue à la guerre de sécession yougoslave, je pensais qu'elle pouvait encore échapper au naufrage définitif en se refondant sur la base d'une constitution démocratique.
C'est la perspective que Jürgen Habermas et son ancien étudiant Joshka Fischer avaient esquissée dès les années 1990.
Certes, le TCE n'était guère que l'amorce d'une telle constitution européenne… Mais c'était une avancée significative.
Bernard Dreano (NON) : Le projet de  traité constitutionnel proposait des mécanismes de fonctionnement et de prise de décision de la communauté qui, tout en demeurant encore assez loin du niveau de démocratie qu'il faudrait atteindre, constituaient des progrès par rapport à la situation actuelle.
Mais il comprenait aussi des dispositions politiques renforçant le cours néo-libéral et inégalitaire des politiques européennes et "sanctuarisant" les politiques les plus problématiques prônées dans les traités antérieurs, notamment ceux d'Amsterdam et de Nice. C'est pourquoi je pense qu'il fallait refuser ce "paquet-cadeau".

Quel bilan tirez-vous de la situation créée par le NON au référendum du 29 Mai 2005 ?
Bernard Dreano :
Le débat en France, qui a conduit à la victoire du Non, signifiait une appropriation par le peuple des questions européennes.
Les Non combinait trois postures distinctes, deux postures finalement assez similaires de refus de l'intégration européenne qu'elles viennent de la droite ou de la gauche, et une posture de refus des politiques majoritairement mis en œuvre par l'Union, au nom d'une autre manière d'intégrer l'Europe.
Mais dans le Oui il y avait aussi au moins deux postures, celle d'un soutien aux politiques néolibérales et celle de l'acceptation d'une amélioration des mécanismes de fonctionnement européen pour permettre éventuellement d'infléchir ces politiques.
De ce point de vue le Non néerlandais était beaucoup moins riches du fait du très faible débat qui l'a accompagné.
Le Non ne signifiait pas le "blocage catastrophique" de l'union mais l'occasion de reprendre le débat sur des bases politiques plus claire.
Malheureusement cette opportunité n'a pas été vraiment mise à profit par les partisans européistes et progressistes du Non.
Philippe Ducat : On a interprété ce "non" comme l'expression du refus de la dilution des nations dans un "machin" apatride.
Mais j'y vois aussi le révélateur d'une crise déjà ancienne de l'Europe. Elle remonte peut-être au moment où l'intégration de l'Angleterre s'est faite passivement, sans qu'on interroge les nouveaux venus sur leurs intentions profondes.
Après l'évaporation du communisme à l'Est, en tout cas, il aurait fallu repenser l'ensemble du processus, pour bâtir notre
"maison commune".
Au lieu de quoi l'on s'est contenté d'élargir aveuglément les frontières de l'ensemble, sans renforcer sa densité politique.
Le "non" fut le prix de cette indécision. Il serait temps de réagir ! Alors que le "non" français à la CED, en 1954, a rapidement été suivi d'un rebond (le traité de Rome), la plupart des acteurs semblent se résigner à l'idée que le torpil-lage du TCE aurait signé l'arrêt de mort de l'Europe politique.
Sarkozy, accaparé par son projet d'union méditerranéenne, s'accommode d'une Europe "light".

Que pensez-vous du Traité Modificatif ? Qu'est-ce qui change par rapport au Traité Constitutionnel Européen... en mieux ?... en pire ?
Philippe Ducat : C'est le "plan B" réclamé par Fabius. Il modifie certains aspects de l'impraticable traité de Nice, en sauvant au passage des avancées du TCE : présidence stable de l'Union, ministre (sans le titre) des affaires étrangères de l'Union, simplification des  mécanismes de décision…
Pas de quoi pavoiser, car une concession  majeure a été faite aux nonistes : l'idéal d'une constitution supranationale est sacrifié sur l'autel du réalisme politique, et l'on a affaire à un traité international des plus classiques, encore plus illisible que son prédécesseur.
Et puis on s'est débarrassé de la fameuse IIIe partie du TCE, honnie des tenants du "non de gauche". Mais ce n'est qu'un ajustement de forme : les principes de l'"économie sociale de marché" continueront de s'appliquer. Encore heureux !
Bernard Dreano : Le traité de Lisbonne gomme certains aspects outranciers du néolibéralisme politique du projet précédent, mais n'en modifie pas l'économie générale. C'est un "plan B" qui n'est pas en rupture avec le texte précédent. Mais qui n'en a pas non plus la même force symbolique et donc politique pour l'avenir. 

Quelle est votre analyse des enjeux de la construction européenne ?
Bernard Dreano :
Un certain rêve de construction d'une Europe intégrée, pacifique et progressiste a montré ses limites dans les années 90, quand l'Union européenne a été incapable de faire face aux défis historiques de la paix en Europe (en Bosnie Herzégovine) et dans son voisinage immédiat (en Palestine) et quand elle a du commencer à faire du faire face, sans l'avoir anticipé à l'élargissement à l'est.
Ces difficultés démontraient que le niveau d'intégration atteint correspondait à  celle d'une zone économique commune, avec certaines règles commune en matière régalienne, de sécurité et de certains droits civiques, mais pas une zone de responsabilités et de droits partagés.
Nous en sommes toujours là et  nous en serons là sans doute pour une période assez longue.
Philippe Ducat : La seconde guerre de trente ans (1914-1945) a terriblement affaibli nos vieilles nations et sonné le glas de leur suprématie mondiale.
Faire l'Europe semble le seul moyen de recouvrer la puissance économique et l'influence politique qui ont définitivement échappé aux Etats-nations.
Une puissance publique d'envergure continentale, lestée d'une légitimité démocratique, pourrait prétendre civiliser un capitalisme financier qui se moque des frontières.
En ce qui concerne la gauche, l'échec de la "rupture" de 1981 a valeur de leçon : le "socialisme dans un seul pays" est impossible.
En revanche, et comme le soulignaient Blair et Schröder dans leur manifeste de 1999, la gauche européenne peut se rassembler autour d'objectifs communs en matière de politique sociale, d'emploi, d'environnement, de sécurité et de réforme des politiques européennes dépassées.
Il est vrai que cela passe par l'acceptation de compromis avec les forces du marché, mais aussi, à l'échelle de l'Europe, avec des forces politiques qui ne sont pas de gauche.
Mais comme le disaient Blair et Schröder, "la plupart des gens ont depuis longtemps abandonné toute vision du monde fondée sur le clivage entre les dogmes de la gauche et de la droite. C'est à eux que les sociaux-démocrates doivent être en mesure de s'adresser". 

Compte tenu de la situation actuelle, comment aller vers l'Europe des peuples, sociale et solidaire souhaitée ?
Philippe Ducat :
Si je faisais un rêve, ce serait plutôt celui d'une "nation civique européenne" postnationale !
Quant à l'Europe sociale, elle ne pour-ra pas voir le jour sur la base de la seule union économique et monétaire. 
Mais il n'y aura pas d'Europe politique si nous ne tranchons pas les deux questions qui nous taraudent :  
* celle de la finalité du processus (fédération, ou "concert organisé des gouvernements responsables" à la De Gaulle ?) ; 
* et celle des frontières de l'Europe.
Il est urgent en particulier d'expliquer à la Turquie pourquoi nous jugeons qu'elle ne pourra pas être de cette aventure.
Faisons face à la question de fond : c'est bien le caractère densément musulman de la Turquie qui risquerait de limiter à l'excès la liberté d'action de l'Europe.
Mais sommes-nous capables de parler politiquement de religion ?
Bernard Dreano : Aller vers une intégration plus poussée en terme de solidarité, de responsabilité et de droit, qui me parait très souhaitable, ne peut exister que dans la mesure ou un courant politique transeuropéen se manifeste en cette direction. 
Ce n'est pas (pas encore ?) le cas, et c'est la cause profonde de l'impuissance des "nonistes de gauche" en France.
La prochaine échéance importante de ce point de vue n'est pas la ratification du traité de Lisbonne.
C'est la capacité ou non de faire exister, lors des prochaines élections européennes, même à une petite échelle, un début de courant politique transeuropéen, ayant pour objectif à terme de devenir majoritaire, pour une Europe sociale et solidaire

Publié dans Orotarik

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