“Villes en transition”

Publié le par Alda

Etienne-Leconte.JPG

 

Etienne Lecomte, membre de la commission Ecologie-Société d'Attac


Interview d’un “transitionneur”

habitant en plein Paris,

sur les changements à faire dans nos modes de vie quotidiens

et notre façon d'être ensemble


Etienne Lecomte, participe au lancement du réseau des Villes en Transition – Île-de-France (centre et banlieues). Il répond aux questions d’Alda! sur les transitions souhaitables et possibles (en vu du double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique) avant sa venue à Bayonne pour les conférences qu’il animera dans le cadre des journées de Formation de Bizi! des 7 et 8 mai prochain.  

 

Transition1-.jpg

Inspiré du livre de référence "The Transition Book" :

un paysage de futur adouci par dessus le reflet du même horizon à notre époque...


Que sont les villes en transition ?
Etienne Lecomte : Le mouvement dit des "Villes en transition" est né en 2005 en Grande-Bretagne, à partir de l'expérience pionnière menée à Totnes, dans le sud-ouest du pays.
L'intuition de départ est qu'il va falloir faire face très prochainement à deux crises majeures et intimement liées :
* la fin du pétrole bon marché (du fait de l'entrée dans la phase de diminution des réserves), entraînant la restriction croissante des activités fortement consommatrices en énergie (comme les transports) ou en produits dérivés des hydrocarbures (comme les engrais)
* le changement climatique, dû aux émissions humaines de carbone dans l'atmosphère, d'où la nécessité de les limiter le plus possible.
Et il n'est pas possible d'aborder l'une sans l'autre : les solutions de remplacement du pétrole qui sont déconnectées du changement climatique se tournent vers l'utilisation des réserves encore importantes de charbon, ce qui amènera une aggravation dramatique des émissions de CO2, tandis que les prises en compte du changement climatique pensées sans la fin du pétrole sont trop consommatrices d'énergie et donc non viables.

Le mouvement des "Villes en transition" repose sur le constat que les changements à faire concernent nos modes de vie quotidiens et notre façon d'être ensemble.

Ils doivent donc être pensés d'abord au niveau local. C’est d'autant plus nécessaire actuellement que le niveau politique national et international se montre incapable de mener les initiatives nécessaires.
Ce mouvement est inspiré des principes de la "permaculture", démarche peu connue en France mais plus développée dans le monde anglo-saxon. L'un des fondateurs du mouvement des Villes en Transition, Rob Hopkins, est lui-même enseignant en permaculture. Cela consiste en particulier à:
* se baser sur une vision positive du futur, comme un architecte porte l'image positive de la maison qu'il va construire. Il ne faut pas se laisser engloutir par les projections pessimistes, qui sont une issue effectivement probable si rien n'est fait, mais non certaine puisqu'il est encore temps d'agir. Asséner des projections catastrophiques  pour susciter l’action, cela contribue au contraire à empêcher la mobilisation et à pousser au désespoir, au déni, à la fuite en avant.
* promouvoir la "résilience" de notre société, c'est-à-dire sa capacité à supporter un choc majeur, capacité qui repose en particulier sur les liens de proximité. Il est donc nécessaire de relocaliser la plupart des activités vitales, en particulier celle de la production de nourriture, face à la fin prochaine de l'agriculture intensive et des transports bon marché.
* se situer au niveau local comme au niveau global, car les solutions doivent être à la hauteur des problèmes. Pour être acceptées, elles doivent venir de la base, et non être imposées depuis le haut.
L'appui des élus locaux est utile mais pas en première initiative, et leur absence d'implication ne doit pas empêcher le processus (tandis qu'à l'inverse il faut veiller à ne pas se faire "récupérer", donc discréditer...) :
* le changement doit être bien sûr extérieur, sur les systèmes de production et de consommation, mais aussi intérieur, sur notre vision du monde et notre mode de vie. Certains modèles psychologiques peuvent aider à comprendre notre situation, en particulier celui de l'addiction : "l'homo consomatorus" se comporte comme un "accro" au consumérisme. Et pour l'en faire "décrocher", il faut tenir compte des particularités psychologiques de l'addiction (impulsivité, intolérance à la frustration, déni...).
* tout le monde a sa place dans ce mouvement: il faut agir collectivement, et des compétences très variées sont nécessaires.

Où trouver des cas concrets?

Etienne Lecomte : Il y a maintenant plusieurs centaines d'initiatives qui bourgeonnent un peu partout dans le monde, dans des petites villes, des quartiers de grandes villes, des "pays", des îles... mais elles doivent rester à un niveau de proximité suffisant pour que les personnes impliquées aient des intérêts communs et des liens réguliers.
Ces initiatives sont situées essentiellement dans les pays anglo-saxons (www.transitiontowns.org), mais elles diffusent au-delà. Dans le monde francophone, le site www.villesentransition.net permet d'avoir une vue d'ensemble, tandis que la liste de discussion "Objectif résilience" (http://groups.google.com/group/
objectif-resilience) permet de partager des contacts, des expériences, des documents, des événements...
En France, plusieurs dizaines d'intentions se sont signalées. La plus avancée est celle dans le Trièves, au nord de Grenoble (http://aprespetrole.unblog.fr)

Comment as-tu découvert les villes en transition ?

Etienne Lecomte : J'ai découvert ce mouvement lors d'un atelier "écologie et société" pendant l'université d'été 2009 d'Attac.
Comme beaucoup d'autres, j'ai été intéressé par le côté immédiatement pratique, concret, ouvert, donc capable de mobiliser largement, en particulier toutes les personnes qui ne se satisfont pas des lenteurs (voire des immobilismes, voire des régressions) dans le jeu officiel des grosses associations écologistes et des partis au niveau national et international.

Sur quel projet es-tu actuellement?

Etienne Lecomte : A Paris, nous sommes un petit groupe qui s'est constitué depuis le début de l'année par le jeu des réseaux et événements militants. Notre souci est justement de faire s'allier des militants, souvent critiques face à la neutralité d’un mouvement perçu comme "apolitique", avec des personnes qui ne sont pas “militants-professionnels" et restent méfiantes vis-à-vis de ce qu'elles perçoivent comme de "l'agitation sectaire".
Nous avançons lentement, prudemment, en essayant de faire se rejoindre les personnes et les réseaux à partir desquels quelque chose pourra démarrer (certaines AMAP - toutes ne sont pas forcément intéressées-, certaines associations de quartier, etc.).
Nous habitons en plein Paris, donc dans un environnement a priori peu propice à la "Transition": déjà les espaces cultivables sont très restreints (c'est une des plus fortes densités de population, avec une très faible surface d'espace verts), et en plus (voire surtout), les liens sociaux sont très distendus, les personnes du voisinage se croisent et cohabitent sans se connaître. C'est un peu l'inverse du Trièves, où réside peu de monde, dispersé sur un très grand territoire, avec beaucoup de possibilités pour produire de la nourriture localement, mais avec alors d'autres problèmes (éloignement et difficulté à se voir rapidement, tensions entre "gens d'ici" et "néo-ruraux"...)

Quel serait ton premier bilan sur cette expérience de “Transition” ?

Etienne Lecomte : Trois d'entre nous sont allés suivre une formation à Totnes, très enrichissante pour nous extraire des théories et nous permettre d'aborder les réalités des autres. Chaque initiative de transition a ses particularités, ses difficultés, ses évolutions propres, dues à l'environnement, à l'histoire, aux personnes impliquées.
Le mouvement des villes en Transition se constitue en réseaux (nationaux, internationaux), afin de favoriser les contacts, l'accompagnement, les échanges d'expériences et d'outils, mais il n'y a pas de gourou, pas de label.
Les "transitionneurs" sont très modestes, tout à fait conscients des limites et des obstacles qu'ils rencontrent, à commencer par ceux propres à eux-mêmes, aux personnes et aux groupes.





Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article